Kara fonde ses calculs, dont il a donné l’exclusivité au Guardian, sur des données provenant de 51 pays sur une période de 15 ans, ainsi que sur des entretiens détaillés avec plus de 5 000 personnes ayant été victimes d’esclavage.

La première tentative d’éradication de l’esclavage a eu lieu en 1833 lorsque le Parlement britannique l’abolit, 26 ans après avoir interdit le commerce d’esclaves. Aujourd’hui pourtant, au moins deux fois plus d’individus que durant les trois siècles et demi de traite transatlantique sont prisonniers d’une forme d’esclavage.

Les experts estiment que près de 13 millions de personnes ont été enlevées et vendues comme esclaves par des marchands professionnels entre le 15e et le 19e siècles. D’après l’Organisation Internationale du Travail des Nations Unies, au moins 21 millions de personnes dans le monde seraient aujourd’hui victimes d’une forme d’esclavage moderne.

« Il s’est avéré que l’esclavage est de nos jours plus rentable que je n’aurais pu l’imaginer », explique Kara. « Les profits par esclave peuvent aller de quelques milliers de dollars à quelques centaines de milliers de dollars par an, ce qui donne un total annuel de 150 milliards de dollars. »

Deux siècles plus tôt, l’esclavage impliquait de longs et coûteux déplacements, ainsi qu’un taux de mortalité élevé. Mais aujourd’hui, l’esclavage moderne engendre des profits par victime bien plus importants du fait de moyens de transports rapides et peu onéreux, à moindre risque. Les importantes migrations internationales fournissent un lot de victimes disponibles et facilement exploitables qui peuvent alimenter un bon nombre d’industries liées à l’économie mondiale telles que la mode, les produits de beauté, de la mer et le commerce du sexe.

C’est un énorme défi mais l’esclavage pourrait appartenir au passé, ce n’est qu’une question de volonté et de détermination politiques.

Professeur Kevin Bale, université de Nottingham

« La vie humaine est devenue plus sacrifiable que jamais », affirme Kara. « Les esclaves peuvent être acquis, exploités et mis au rebut en peu de temps tout en continuant à engendrer d’énormes profits pour ceux qui les exploitent. L’absence de réponse au problème de l’esclavage, à l’échelle mondiale, a permis à cette pratique de perdurer. A moins que l’esclavage soit considéré comme une forme d’exploitation du travail très coûteuse et risquée, rien ne changera. »

La semaine dernière, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime a alerté sur le fait que la spirale des conflits exposait toujours plus de populations au trafic d’êtres humains et à d’autres formes d’esclavage. Selon l’ONUDC, la traite des personnes est devenue une industrie criminelle internationale à l’échelle des trafics d’armes et de drogue.

« Je ne pense pas qu’il y ait une véritable compréhension de ce à quoi nous faisons face », estime Kristiina Kangaspunta, chef de l’unité chargée du Rapport mondial sur la traite des personnes à l’ONUDC.

« Le conflit rend plus vulnérables ceux qui doivent fuir et les trafiquants en profitent pour exploiter ces faiblesses. Néanmoins, il faut reconnaître que le trafic d’êtres humains se produit principalement sur le sol national et à petite échelle. Tout un chacun aura été en contact avec une victime de trafic sans le savoir. »

Le Rapport mondial sur la traite des personnes de l’ONUDC, publié en décembre dernier, concluait qu’aucun pays n’est épargné par l’esclavage. Il identifiait plus de 500 « flux » ou routes principales liés à ce trafic entre 2012 et 2014. Malgré le fait que l’esclavage est interdit dans tous les pays, et que le nombre de victimes est élevé, seulement 9 071 inculpations pour motifs de travail forcé et trafic ont été prononcées l’année dernière dans le monde.

Toutefois, Kevin Bale, professeur à l’université de Nottingham, spécialiste des questions liées à l’esclavage contemporain et coauteur de l’indice mondial de l’esclavage, affirme que l’esclavage pourrait être éradiqué dans les vingt prochaines années.

D’après lui, « nous pourrions en finir avec l’esclavage pour seulement 23 milliards de dollars. »

« Cela représente 15% des profits illicites du travail forcé. C’est un énorme défi auquel nous sommes confrontés mais l’esclavage peut appartenir au passé. Il ne s’agit là que d’une question de volonté et de détermination politiques. »

Source : The Guardian, Annie Kelly, 31-07-2017

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